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ENTRETIEN. Marc Dufumier : « L’agriculture française a besoin d’un changement radical »

Le 28/04/2021 0

Dans Articles, prises de paroles

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« Une autre agriculture est possible », estime Marc Dufumier. Spécialiste d’agroécologie, l’agronome prône une transformation agricole basée sur le respect de la terre et capable de nourrir la planète. Interview.

Marc Dufumier est agronome, professeur émérite à l’AgroParisTech. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le thème de l’agroécologie et préside par ailleurs l’ONG Commerce Équitable France. Partant du constat que la ferme se trouve aujourd’hui dans une situation « assez dramatique » en France, l’agronome se bat pour une autre vision de l’agriculture dans l’Hexagone. Nous l’avons rencontré dans le cadre de l’opération En quête de demain, initiée par la plateforme Sparknews et destinée à mettre en avant des exemples et des actions concrètes s’inscrivant dans la transition des territoires, et de la transition environnementale et sociétale.

Quel état des lieux dressez-vous de la ferme France ?

Il est assez dramatique. Les paysans ont un revenu faible, ils sont très endettés. Le taux de suicide est supérieur à celui des autres professions. Les filières de l’agriculture industrielle, poudre de lait ou poulets bas de gamme, sont en situation d’échec. Elles ne peuvent pas être compétitives sur le marché mondial face à des exploitations de plusieurs milliers d’hectares. La France est déficitaire en protéines végétales et dépend de l’importation de soja transgénique. La spécialisation excessive entre régions d’élevage et de grandes cultures entraîne des dégâts environnementaux. Sur le plan de notre alimentation, nous pouvons nous inquiéter de l’antibiorésistance et des résidus de pesticides. On découvre que le lait ou le pain pas cher nous coûtent en réalité très cher.

A contrario, qu’est-ce qui fonctionne ?

L’excédent commercial agricole français est formé, pour les deux tiers, de produits à haute valeur ajoutée : vins, fromages, foie gras… Ces produits sont souvent issus d’une agriculture paysanne qui pratique la transformation fermière et n’a pas joué la carte de l’industrialisation. Par exemple, en Franche-Comté, les éleveurs fabriquent du comté d’appellation d’origine protégée (AOP) dans des coopératives où ils sont décideurs. On voit aussi émerger de plus en plus l’agriculture bio et les circuits courts. Ces paysans-là sont ceux qui s’en sortent le mieux.

Notre agriculture doit-elle changer de cap ?

On a besoin d’un changement radical. Il est techniquement possible de nourrir correctement et durablement l’humanité avec une agriculture qui exporte moins de produits bas de gamme et importe moins de protéagineux transgéniques arrosés de glyphosate. Cela ferait le plus grand bien à beaucoup de monde : aux pays du Sud qui subissent le dumping de nos produits, aux Brésiliens qui pourraient manger leur soja plutôt que de l’exporter pour nourrir nos cochons et aux agriculteurs et consommateurs français.

Quel est le chemin à prendre ?

Celui d’une agriculture moderne inspirée par l’agroécologie. C’est une discipline scientifique qui rend intelligible le fonctionnement des écosystèmes agricoles. Agriculture biologique, agroforesterie et agriculture de conservation des sols s’en inspirent. La transition agroécologique se fonde sur un usage intensif de la photosynthèse. Ce mécanisme naturel par lequel les végétaux fabriquent leurs tissus avec l’énergie du soleil et le carbone du gaz carbonique de l’atmosphère, deux ressources gratuites et renouvelables. Il faut une couverture végétale verte maximale. On peut s’inspirer des associations végétales. On cite toujours les Mexicains qui cultivent sous le maïs du haricot et sous le haricot, des pastèques, concombres, courges… Chez nous, en France, il y a le pommier dans la prairie ou les associations lentilles-céréales. La permaculture en maraîchage bat tous les records avec, dans la même parcelle, dix espèces différentes. L’eau de pluie doit s’infiltrer dans le sol pour être mise en réserve pour l’été. Plus une goutte ne doit ruisseler, grâce à la plantation des haies, à la couverture végétale ou aux techniques de culture sans labour qui favorisent les vers de terre.

Pourra-t-on se passer des engrais chimiques ?

L’alternative aux engrais est de planter des légumineuses, comme les lentilles, les pois chiche ou la luzerne. Elles sont capables d’intercepter l’azote de l’air, lui aussi gratuit et renouvelable, pour constituer les protéines de notre alimentation. Les arbres aussi peuvent être de précieux alliés. Leurs feuilles fertilisent la couche arable. Le bois des rameaux broyés issus de l’élagage des haies fertilise les champs. Associés aux racines, les champignons débusquent les éléments minéraux.

Zéro pesticide, c’est possible ?

Oui. L’agriculture moderne de demain n’éradiquera plus, mais apprendra à vivre avec des insectes ravageurs, des champignons pathogènes, des herbes adventices. On va minorer leur prolifération par des variétés tolérantes, des animaux robustes et la diversification des cultures. Dans un premier temps, il y aura des baisses de rendement. Refabriquer de l’humus et ressusciter les insectes utiles ne se fait pas du jour au lendemain.

Cette baisse de production ne va-t-elle pas pénaliser l’autosuffisance alimentaire et le revenu des agriculteurs ?

Elle va pénaliser les exportateurs de poulets bas de gamme ou de blé vers l’Algérie et l’Égypte. Mais notre blé à 50 quintaux, s’il ne consomme pas d’intrants chimiques, si les insectes auxiliaires font gratuitement le job et s’il est fertilisé naturellement avec de la luzerne, rapportera plus à l’hectare que du blé à 90 quintaux produit avec des pesticides et des engrais de synthèse. Il va nourrir la France et la luzerne apportera de la souveraineté protéinique.

Comment encourager la transition agroécologique et améliorer le revenu des paysans ?

Il faut rémunérer les agriculteurs quand ils séquestrent du carbone dans les sols, quand ils plantent des légumineuses ou des haies, quand ils remettent des abeilles, des coccinelles et des mésanges qui s’attaquent aux pucerons. Dites-moi à quel prix vous êtes capables de mettre tout ça en œuvre, moi je vous paie.

L’alimentation va coûter plus cher ?

Un beau produit artisanal et sain pour les riches et les perturbateurs endocriniens pour les autres ? Je trouve cela insupportable. Les subventions de la politique agricole commune (Pac) et de l’État doivent rémunérer un service environnemental d’intérêt général. Vous mettez des légumineuses dans les champs ? Cela nous évite des émissions de gaz à effet de serre, des importations de soja, cela ressuscite les abeilles et nécessite plus de travail, je vous paie par contrat. Il en résultera un bon produit bio massivement produit, donc moins cher et accessible à tous, pas seulement aux bourgeois bohèmes.


Le dossier En quête de demain est une initiative éditoriale de la plateforme Sparknews, portée par plusieurs journaux de la presse quotidienne française, dont Ouest-France, Le Courrier de l’Ouest, Presse Océan et Le Maine Libre du Groupe Ouest-France. Les rédactions des titres participant au projet partagent et diffusent conjointement des articles montrant des exemples et des actions concrètes s’inscrivant dans la transition des territoires, transition environnementale et sociétale. Cette initiative unique se traduit par un dossier numérique ici et un supplément diffusé dans les quotidiens le 28 avril.

En quête de demain se traduit aussi par des rencontres ouvertes à tous, mercredi 28 avril. Des tables rondes et des interviews sont proposées de 12 h à 14 h, sur le thème de la transition des territoires. À suivre sur la page Facebook de Ouest-France Notre Planète. Au programme notamment :

- Les coulisses de En quête de demain, avec des journalistes de cinq médias engagés dans cette expérience (Ouest-France, Sud-Ouest, La Voix du Nord, Le Dauphiné Libéré, Midi Libre).

- Les enjeux de l’agriculture demain. Table ronde animée par Sylvia Amicone, journaliste, avec Marc Dufumier, agroécologue et enseignant-chercheur, Jérôme Deconink, directeur de la Fondation Terre de liens, et Catherine Cibien, directrice du Mab France (Man and the Biosphère de l’Unesco).

- Nos territoires, catalyseurs d’une consommation raisonnable. Table ronde animée par Marie Robert, auteure et philosophe, avec Emery Jacquillat, président de la Camif et cofondateur de la communauté des entreprises à mission, Nicolas Sénéchau, directeur général des services du Smicval du Libournais, Lucie Lucas, comédienne et porte-parole OEP.

- Nouveaux modèles de gouvernance au service du bien commun. Débats introduits par Nicolas Le Berre, fondateur et directeur de Citizens Factory. Avec Mathilde Imer, de la convention citoyenne pour le climat, Camille Etienne, OEP, influenceuse, Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, et Augustin Boulot, délégué général de B Lab France.

 Article Ouest France Xavier BONNARDEL, Ouest-France. Publié le 26/04/2021 à 16h05

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