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Auteur René GUITTON, Agriculteur, ancien militant des jeunesses catholiques, engagé dans le syndicalisme agricole et le mouvement Associatif.
LE CORONAVIRUS
Dehors le ciel était bleu, Dans ma marmite sur le feu
Un bon rôti mijotait, Mes babines déjà je léchais
c'est alors qu'il est entré, Sans prendre-la peine de frapper
J'ai dit : qui es-tu l'intrus ?
Il m'a dit : c'est moi le coronavirus
Et d'ajouter : ça sent bon chez toi
Tu prépares un festin de roi ? Je me suis senti flatté
Mais j'allais vite déchanter
Sans me laisser le temps de parler, C'est lui qui m'a questionné
Cette bête qui t'a donné ce rôti, Tu sais par qui elle a été nourrie ?
Oui, par un éleveur du pays, Qui l'a engraissé avec du soja brésilien
qui a poussé sur les terres calcinées, de la forêt amazonienne dévastée
et tu l'assaisonnes avec de l'huile de palme, qui a été produite chez moi
et c'est pour ça que je suis arrivé chez toi
Pourquoi ?
Parce que les bulldozers de tes multinationales
sont venus déboiser ma forêt tropicale, pour y planter des palmiers à huile.
Moi j'y vivais tranquille, avec mon ami le pangolin
On nous a chassé, expulsés, Lui, les chinois l'ont mangé
et moi comme un exilé, je suis monté dans un avion
et me voilà arrivé dans ta maison
Excuse-moi, t'es pas un peu salaud, en n'en faisant vraiment trop
T'aurais pu t'adapter dans ton pays, au lieu de venir nous pourrir la vie
Tu nous as infesté, mis nos vies en danger
Nous sommes confinés, Nous devons sortir masqués
Notre liberté est très perturbée.
C'est le résultat de votre insouciance
Comment ça ? Je ne me sens pas coupable
Coupable, peut-être pas, mais complice, c'est pareil
Toi et tes amis vous n'avez pas écouté, tous ceux qui vous ont alertés
Vous avez ignoré les écolos, De René Dumond à Nicolas Hulot
vous les avez pris pour des rigolos
Et Pierre Rabhi, pour qui vous l'avez pris
en rejetant sa sobriété heureuse avec mépris
Quant à Greta Grunberg la danoise, vous l'avez écrasée sous la toise
Même le Pape quand il a écrit, vous l'avez tous applaudi
pour ensuite dès le lendemain, continuer comme s'il n'y avait rien
C'est pas une raison pour faire tant souffrir
Vous êtes aveugles vous autres, Vous ne voulez pas voir les causes
Si je n'étais pas venu, tu n'aurais sans doute rien vu
En arrêtant les avions, les autos, tu as entendu chanter les oiseaux
Tu as vu avec stupéfaction, tous les invisibles de la nation
Les soignants, les caissières, les livreurs, les producteurs, les éboueurs...
Tous ceux qui sont déclassés, parfois méprisés, souvent sous-payés
mais indispensables à la société.
Bon, pourquoi tu me dis tout ça à moi ?
Parce que vous êtes dans un train fou, qui vous emmène nul ne sait où
Vous êtes sur de mauvais rails, Il est urgent de changer de voie
Changer de voie, changer de voie, ça veut dire quoi ?
Changer de voie, ça veut dire :
Remplacer la compétition, sous toutes ses formes par la coopération
entre les hommes, les entreprises et les nations
Reconvertir les dépenses d'armements vers des crédits de développement
pour le bien de tous les humains et la protection de la planète
Substituer aux critiques négatives et partisanes
des propositions positives, constructives et créatives
Cesser l'obsession consumériste pour devenir plus spiritualiste
Revoir la répartition des richesses et des revenus pour qu'elle profite à tous
Arrêter d'aduler les premiers de cordée
pour prendre soin de ceux qui sont les derniers
car s'ils sont épuisés et qu'ils dévissent
ils entraînent toute la cordée dans le précipice
Soustraire à la rapacité du marché tous les biens communs de l'humanité
l'air, l'eau, la nature, la santé...
Pourquoi me dis tu tout ça à moi ?
Pour que tu le répètes autour de toi, Je ne suis qu'un simple citoyen
ma parole ne vaudra rien, Nous sommes très différents
par la langue, la couleur de peau, la religion, les origines sociales, les opinions
Nous avons tous notre identité, et chacun tient à la conserver
Tu te trompes, t'as rien compris, Moi, je circule dans tous les pays
Je vous observe sur toute la terre, Cela me donne un avis d'expert
Vous êtes tous pareils, tous les mêmes
Tous de la même race : la race humaine
Alors va dire à tes amis, tout ce que je t'ai dit
Désolé, je ne le dirai pas
Pourquoi ?
Parce que je ne suis pas fou, Je n'ai pas envie d'être critiqué
D'être taxé de doux idéaliste, De naïf utopiste, Ou d'affreux moraliste
Il s'est emporté, il m'a toisé, Je me suis senti écrasé
Il m'a regardé dans les yeux, J'ai vu les siens furieux
D'une voix impérative il m'a dit :
Ecoute bien ça PETIT
Va dire à ceux qui ne l'ont pas compris
De rejoindre ceux qui s'usent à aider les plus démunis
Et puis, je n'ai plus rien entendu
Il est parti comme il était venu
Alors, ça fait drôle d'écouter le silence
On dirait qu'il parle aussi bien que la science
Dehors, le ciel était toujours bleu
Dans ma marmite sur le feu, Mon rôti était cramé
Mes espoirs gustatifs évaporés
Cela m'a coupé l'appétit
Je me suis allongé sur mon lit, Pour me reposer
Le virus m'a terrassé
René Guitton.