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EHPAD 1- Billet d’humeur d’une fille qui n’a pas vu sa mère depuis trop longtemps.

Le 14/05/2020 0

Dans Journal du Confinement du CMR44

 

 

Pour que l'expérience personnelle devienne un sujet collectif, il faut oser une parole. 

Il faut dénoncer les drames à huis clos qui se passent dans certaines maisons de retraite. Libérer les paroles des personnes âgées et des familles. Penser autrement les fins de chemins de nos aînés, questionner les choix sociétaux,Imaginer d'autres possibles que l'EHPHA. Prendre une place citoyenne pour faire bouger les lignes que plus jamais ne se reproduise la négligence et la maltraitance qu'a vécu hélas ma maman.

Ma mère est morte seule à la maison de retraite. Elle y était depuis un an. Une année où son état s’est dégradé par étapes.

L’EHPAD où elle vivait a rarement été à la hauteur. Tout y était compliqué. Bien sûr, il y avait les carences habituelles : rares douches, personnel non formé, turn-over des soignants, mais aussi le sentiment que trop souvent les résidents étaient traités comme des objets.

Mercredi 11 mars : fermeture de l’Ehpad où vit ma mère. Une guerre vient de se déclarer contre un fichu virus, il faut se confiner !

Cela faisait juste quelques jours que je n’avais pas vu maman.  Elle a des troubles cognitifs importants, une sale maladie que l’on appelle Démence à Corps de Lewy. Je lui rends visite 2 à 3 fois par semaine.

Et là, tout s’arrête !

L’inquiétude s’installe (on sait qu’on va devoir attendre longtemps avant de pouvoir la revoir) : que va-t-elle devenir sans la présence quasi-quotidienne de ma sœur et moi ? Plus de kiné non plus : elle venait au minimum 2 fois par semaine, et elle était un repère important, elle appréciait et attendait ses venues. Que va-t-elle penser de ne plus nous voir ? Elle va se sentir abandonnée, perdre ses repères affectifs.

Je sais que c’est un sacré bouleversement pour l’organisation des soignants. Il va me falloir attendre pour savoir quelle organisation sera mise en place pour avoir un contact avec maman.

L’attente est longue, un sentiment d’impuissance s’installe, il me faut être patiente, guetter un mail de l’ephad… L’idée de possibilité de Skype est retenue. Avec ma sœur, on se questionne : est-ce adapté à notre mère vu ses troubles cognitifs ? Cela sera-t-il bénéfique pour elle ou anxiogène ? Ma sœur questionne l’équipe soignante…

On ne sait pas ce qui est bien pour maman. Nous finissons par accepter un skype.

Une date est proposée : le 21 mars.  Une crainte s’installe alors en moi : va-t-elle me reconnaître ? Comment sera-t-elle ?

Le skype se fait alors avec l’animatrice qui fait l’interprète, maman ne m’entendant pas. Elle ne parle pas, son regard est hagard, elle sourit juste quand elle me voit, qu’elle voit mon conjoint et mes enfants. Le sourire est figé. Son unique propos sera « tu viens me voir ? ». Et là, surtout rester stoïque, ne pas pleurer devant elle ! Je peux juste mentir et lui dire que j’espère venir la voir très bientôt ! Pieux mensonge, je sais pertinemment que çà sera dans très longtemps. Le Skype s’arrête, le temps est limité, il y a d’autres familles qui attendent leur tour !

Quand aura lieu le prochain Skype ? Pas de réponse… On peut envoyer des photos à maman si on veut…

Ma sœur prend régulièrement des nouvelles auprès de l’équipe soignante et toujours la même réponse : « elle va bien, tout va bien, elle n’a pas changé ».

Un nouveau sentiment s’installe, la colère. Je ne peux pas croire qu’elle aille bien, pas avec ses troubles, je sais qu’elle ne peut que régresser sans nos visites, sans celles de la kiné. Le confinement aura forcément un impact sur sa santé, peut-être qu’elle ne sera pas contaminée par ce virus, mais le pire n’est-il pas les risques de glissement de pathologie. Va-t-elle se laisser mourir de tristesse, d’abandon, de manque d’amour ?? Je suis en colère, je ne peux rien faire…

J’envoie une photo de mon jardin avec un petit mot, je sais que cela lui sera transmis. J’aurais aimé avoir un retour : comment a-t-elle réagi ? Elle en a dit quelque chose, elle a souri ?

Et puis, les jours passent, la tristesse s’installe. Je pense à maman, quelle drôle de vie qu’elle a eue, et là ne pas pouvoir être auprès d’elle pour l’accompagner, lui faire des bisous, l’aider à manger, prendre soin d’elle, me rend profondément triste. Je l’imagine seule dans sa chambre, attachée à son fauteuil, le regard vide, et je suis triste. Elle doit nous attendre ? A moins que son état de santé se soit dégradé, au point qu’elle n’ait plus conscience de son environnement extérieur.

Très peu de nouvelles, un envoi de photos sans retour, pas de skype… Et les jours passent… Plus de contact avec ma mère, j’ai l’impression qu’elle est morte. Pleurs, tristesse, regrets sont au rendez-vous…

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Il y a plus d’une semaine, j’ai envoyé de nouvelles photos et un mot pour ma maman, je ne sais pas si cela lui a été transmis. J’ai demandé à avoir un retour de ses réactions, mais rien… L’épreuve de nouveau de l’attente, de l’impuissance.

La culpabilité m’a aussi habitée. Culpabilité de ne rien pouvoir faire, d’être impuissante face au peu de communication des soignants sur ce que vit notre mère, ce qu’elle devient, ce qu’elle comprend de ce confinement. Culpabilité de ne pas pouvoir être présente près de ma mère. Regain de culpabilité de l’avoir accompagnée pour intégrer un ephad.

Et pendant ce temps qui passe, je cogite, écoute ce que dit la presse sur les réalités des résidents en structure, les glissements de pathologie liés au confinement, je lis aussi les témoignages (via un réseau social composé de familles et de médecins autour de la maladie à Corps de Lewy). Je me questionne sur cette société qui ne ferme pas ses grands supermarchés (où les gens peuvent déambuler avec ou sans masque, se croiser, presque se toucher !)  mais qui interdisent l’accès à un proche vivant en structure. Quel drôle de choix sociétal.

Et les jours passent encore, et là, un nouveau sentiment se pointe : la sérénité. Je me surprends à parler de ma mère au passé, de me souvenir d’elle quand je suis dans mon jardin, de me rappeler tout ce temps passé avec elle à jardiner, à me dire qu’elle m’a tout appris des plantes, des fleurs. Je suis sereine, une issue logique qui clôt les phases de deuil !!!

Et puis, vient cette annonce gouvernementale fin avril, les visites devront reprendre dans les ephad. J’attends voir ce qui sera proposé. Un mail me parvient, une organisation va se mettre en place, priorité est donnée aux résidents dont l’absence de leur famille aura eu un impact sur leur santé. Maman sera-t-elle prioritaire puisqu’on nous dit qu’elle va bien, qu’il n’y a pas eu de changements repérés pour elle ?? Et puis, une visite à priori au mieux toutes les 2 semaines, limitée à 30 minutes…

Il va falloir être patiente, se contenter de ce qui est proposé. C’est une réalité nationale…

Mais tout d’un coup, je ne comprends pas ce que je ressens face à cette annonce, pas de colère à priori, pas d’apaisement… mais je la sens venir, elle est là bien présente, c’est la PEUR !! Il va me falloir aller voir une morte vivante, c’est incongru et irréel.

Revoir ma mère me fait peur ! Peur de la voir encore plus physiquement et psychiquement dégradée, peur qu’elle ne me reconnaissance pas, peur qu’elle ne soit plus en capacité de me parler, peur, peur de la perdre à nouveau… Peur de me présenter devant elle !

Je vais devoir dompter cette peur, pour enfin pouvoir de nouveau serrer ma mère dans mes bras, lui prendre la main, lui sourire, m’assoir près d’elle et la regarder… Bien sûr avec tout l’équipement de sécurité nécessaire : masque, gants, sur blouse, lavage des mains… Mais nous autorisons-nous seulement ce bonheur ? Pitié pas de visite style parloir, derrière un plexiglass. Je ne pourrais pas, ça serait trop douloureux.

Elle est décédée le 30 avril de chagrin… de ne plus voir ses filles, comme tant d’autres…

Marie ODILE THOMERE LEBRETON, membre CMR44

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A suivre EPADH 2.

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